Bike To Meet You : un tour du monde à vélo au profit de la campagne pour le droit à l’alimentation du CNCD-11.11.11. – Rencontre des partenaires au Laos
En ce mois d’août, nous avons sillonné le Laos à la rencontre des partenaires du CNCD-11.11.11 et des petits producteurs, bénéficiaires finaux des programmes de coopération. Voici en quelques lignes un récapitulatif de nos échanges, avec les limites de notre compréhension des interlocuteurs laotiens et de la courte durée de nos visites.
Le défi des producteurs laotiens : s’adapter aux changements économiques.
De leur économie de subsistance ils doivent se préparer à l’arrivée d’une économie de marché, suite aux nouvelles politiques du pays. Les producteurs doivent conserver l’accès aux ressources malgré les nouvelles politiques de développement basées sur l’exportation qui mettent une forte pression sur les ressources naturelles (les terres, l’eau, les forêts).
Le pays semble être resté longtemps à l’écart des grands marchés internationaux d’import-export pour des causes diverses: d’une part le régime politique socialiste en place et le contexte politique global de guerre froide et d’isolation et, d’autre part en raison du décalage entre les types et quantités de denrées produites traditionnellement (variété de riz gluant, thé naturel non traité,…) et les demandes du marché mondial (riz blanc, produits uniformisés et raffinés,…). La transition progressive vers des nouveaux modes de cultures constitue à la fois une opportunité de développement des conditions de vie des communautés agricoles et une menace pour leur indépendance, leur mode de vie traditionnel et la biodiversité du pays.
Le travail d’Oxfam : faire naître et renforcer des organisations de producteurs
Le défi du travail d’Oxfam : garantir l’accès et l’utilisation des ressources naturelles pour les petits paysans dans la perspective d’un développement durable. Pour ce faire, le travail de l’association consiste à donner des moyens financiers, techniques et méthodologiques aux partenaires pour qu’ils puissent relever ces défis. L’objectif long terme est l’autonomisation des producteurs. La stratégie d’Oxfam et de ses partenaires est d’avoir des paysans qui travaillent ensemble pour développer des alternatives techniques. Parallèlement, l’association se préoccupe d’améliorer la qualité de vie des cultivateurs, notamment les femmes, en valorisant dans les connaissances traditionnelles ce qui peut garantir une plus grande durabilité et une meilleure gestion des ressources.
A la rencontre des partenaires
« Nous travaillons à contre courant. Le gouvernement veut des grandes plantations, des exploitations de type capitaliste. Nous formons les paysans dans les petits métiers. Nous les formons aussi à réaliser leurs projets eux-mêmes en travaillant sur trois axes : la formation, le financement et les marchés. » nous explique Dr. Sisaliao Svengsuksa, président de l’ASDSP (Association de Soutien au Développement des Sociétés Paysanes), partenaire de Oxfam.
Le président ajoute : « Les surfaces à la disposition des producteurs sont trop petites : une famille a en moyenne 1 ha de terre, alors qu’une superficie raisonnable pour se nourrir correctement serait de 10 ha. Le gouvernement doit proposer une petite réforme agraire et mettre plus de terres à la disposition de sa population, dont 80% vit en zone rurale. »
« Notre but est d’élever le niveau de vie des producteurs. Pour ce faire, notre travail consiste à promouvoir les pratiques d’agriculture raisonnée (Good Agricultural Practices) et à faciliter l’établissement d’organismes de micro crédit (Village Development Fund). Bien sûr, il faut parvenir à gérer le fait qu’en général les producteurs ont besoin d’argent dans un futur proche et leur attitude va parfois à l’encontre de démarches durables. Il faut donc bien comprendre les besoins des producteurs pour établir avec eux des solutions adaptées. » explique le président de Phonesoung Center, une entité de vulgarisation agricole qui dépend du ministère de l’Agriculture dans la province de Vientiane, autre partenaire d’Oxfam.
La diversification, une stratégie pour augmenter la qualité de vie
La culture traditionnelle repose essentiellement sur la production de denrées pour la consommation seule de la famille : culture du riz, légumes, bétail,… Elle est donc de manière naturellement diversifiée. Le passage à une production plus ciblée pour l’export pousse les producteurs à se focaliser sur la culture la plus lucrative, ce qui les fragilise grandement, vus que leurs revenus sont alors soumis aux aléas du marché et de la récolte d’un seul produit.
A la rencontre des bénéficiaires
Nous avons visité quatre villages où Oxfam et ses partenaires appuient les habitants pour des activités économiques durables. Les rentrées financières premières de ces villages sont tantôt le riz et tantôt le tissage. Les alternatives économiques développées dans les villages que nous avons visités sont : la transformation du manioc pour en faire des chips, la commercialisation de miel fabriqué avec des techniques nouvelles et la culture du thé.
Les chips de manioc, essentiellement produites par les femmes, ont certes permis d’augmenter les revenus totaux des familles et de procurer plus d’importance aux femmes dans les décisions. Cependant, les femmes se plaignent de ne plus avoir de temps libre. Effectivement, durant la journée que nous y avons passée, elles travaillaient sur l’emballage des chips, l’après-midi sur la réalisation de la pâte, le soir (alors que nous allions nous coucher) sur le découpage de la pâte et la cuisson, et le matin (alors qu’on se levait à peine) elles étaient à nouveau occupées. Cela illustre la complexité de ces projets : chaque changement a des effets parfois non attendus, que le partenaire doit tenter d’anticiper au mieux.
Dans un autre village, les villageois ont été formés à utiliser des ruches « réutilisables » : les abeilles reviennent au travail après l’extraction du miel. Bien que cette activité amène des revenus bien inférieurs à la culture du riz et au tissage, elle permet de diversifier les rentrées et donc de sécuriser les villageois. Cela est un premier succès. Le partenaire se charge d’écouler 30% de la production, le reste est destiné à la propre consommation ou au marché local. A notre surprise, il fut difficile d’identifier une structure de groupe. Le partenaire achète le miel à un seul villageois (responsable de centraliser les 30% de la production du village) qui profite donc plus de ces transactions que les autres producteurs. De notre point de vue, renforcer le travail en groupe de ces producteurs est un prochain défi du partenaire, de sorte qu’une partie des revenus générés par ces transactions puissent servir la communauté.
Le troisième groupe de bénéficiaires que nous rencontrons, où les villageois ont été formés à la culture du thé, semble être une réussite. Toutes les familles cultivent le thé et en tirent profit. C’est devenu la rentrée financière principale et a permis de mettre fin à la culture d’opium. En parallèle, les cultures traditionnelles du riz et l’élevage continuent afin de nourrir les familles. Les bénéfices provenant de la vente du thé servent à l’éducation, acquisition de machines et autres dépenses visant à améliorer le quotidien. Après avoir été amenés dans un village exemple dans le sud du pays, les villageois ont été formés et travaillent ensemble. Une partie des bénéfices sert au fonctionnement de la structure. Cela leur permet de s’autonomiser en gérant eux-mêmes les nouveaux investissements. Aussi, l’alternative économique que représente le thé a permis de mettre fin à la culture illégale d’opium, anciennement première source de revenu du village.
Dans le dernier village, la culture de thé était présente depuis plusieurs décennies dans un contexte très extensif de récolte forestière des plants poussant naturellement. Les productions brutes étaient vendues à très bas prix à un acheteur chinois qui se chargeait de la transformation en produit fini. Cette compagnie avait établi un contrat d’exclusivité avec le village, l’empêchant de participer au programme soutenu par Oxfam. Au terme du contrat, en 2013, l’association s’est impliquée pour développer la culture du thé comme alternative économique de plus grande envergure. Nos impressions furent ici plus mitigées car le partenaire Sud qui se charge d’acheter aux petits producteurs n’achète de thé qu’à un seul villageois. Les autres villageois produisent aussi du thé mais continuent de vendre à la société chinoise. Bien que les producteurs s’assemblent quand il faut vendre en plus grosse quantité, nos échanges ne nous ont pas permis d’identifier de structure communautaire. Pour toute amélioration, les producteurs restent pour le moment dépendants de l’aide extérieure. De plus, la fourniture de nouveau matériel semble précéder le renforcement des compétences organisationnelles dans l’agenda du partenaire. Bien sûr, le soutien apporté à ce village n’a démarré que récemment. Et Dominique Van der Borght, directeur d’Oxfam Laos, nous précise : « c’est un processus et le contexte politique mais aussi la présence de l’investisseur chinois ont été des freins ». Cette rencontre illustre une nouvelle fois la complexité du travail accompli par Oxfam et ses partenaires.
Les pesticides ?
L’agriculture laotienne étant principalement une agriculture familiale de subsistance, les engrais chimiques et pesticides sont globalement absents. La population ne désire pas polluer son alimentation. Toutefois, avec un développement de l’agriculture pour des marchés d’exportation, le risque est très présent que les produits phytosanitaires gagnent du terrain. Un chef de village nous a confié avoir déjà reçu plusieurs visites de démarcheurs de l’industrie chimique pour proposer l’usage de leurs produits, toujours refusés jusqu’à présent. Eviter cela fait partie du travail d’Oxfam et de ses partenaires.
Anecdote : des étiquettes en français pour augmenter les ventes
Dr. Sisaliao Svengsuksa nous raconte : « Les Lao consomment peu de produits transformés. S’ils en consomment, ils préfèrent les produits importés, ne faisant pas confiance au marché local. Une stratégie de l’ASDSP fut donc d’écrire ses étiquettes en français. L’acheteur ne sachant pas lire que le produit est du pays, les ventes ont augmenté. » « Il s’agit aussi d’une valorisation de leur produit qui passe par le reconnaissance étrangèr… Cela donne donc une meilleure image ! » ajoute Dominique Van der Borght.
Notre impression : un apprentissage inattendu
Depuis le début de l’année 2014, nous avons eu l’occasion de rencontrer trois associations d’aide au développement au Sénégal, Pérou et Laos. Ces rencontres ont été une chance extraordinaire de découvrir les activités de coopération menées par les ONGs belges. Les équipes locales, ici comme lors des visites précédentes, ont accepté de nous consacrer beaucoup de temps pour nous accompagner dans la rencontre des différents acteurs. Sans être impliqués dans les projets, nous pouvons discuter et analyser avec un recul que nous n’aurions pas si nous étions acteur. La rencontre des ces trois associations membres du CNCD-11.11.11, travaillant sur des thématiques similaires mais dans des contextes politiques et culturels complètement différents et étant à des stades de travail tous différents, nous a fourni un apprentissage que nous n’avions pas attendu.
De la campagne 11.11.11 au producteur lao : comment les producteurs sont-ils soutenus par le CNCD-11.11.11 ?
Le CNCD-11.11.11 est une coupole d’ONGs membres, telles celles rencontrées durant notre voyage : Le Monde Selon les femmes (rencontrée au Sénégal), Autre Terre (rencontrée au Pérou) et Oxfam Solidarité (rencontrée au Laos). Chacune de ces organisations travaille avec des associations partenaires locales. Parmi d’autres fonctions, on peut citer la mise à disposition de fonds ou de matériel, les formations, le coaching ou le suivi technique. Les partenaires Nord, membres du CNCD-11.11.11, visent ainsi à faciliter et renforcer le travail des partenaires Sud, que sont les associations locales. Ce sont enfin ces dernières qui interagissent directement avec les producteurs.
Plus précisément, Oxfam propose au CNCD-11.11.11 des objectifs et un calendrier de travail avec ses partenaires sur deux ans. Au CNCD-11.11.11, un comité de sélection de projets décide ensuite d’octroyer ou non le financement pour ce programme de travail. Une partie de ce financement sert à rémunérer le travail d’Oxfam et une autre partie à financer le travail de ses partenaires Sud.